Le mystère de Callander Square – Anne Perry

En creusant dans Callender Square, deux jardiniers découvrent un cadavre de bébé. Alerté, l’inspecteur Thomas Pitt se rend sur les lieux, où il découvre un second corps. Il entreprend dès lors une enquête dans ce lieu habité par la grande bourgeoisie, qui n’apprécie pas beaucoup de voir ses secrets mis à jour.
Pour l’aider dans sa tâche, l’inspecteur Pitt peut compter (d’ailleurs, elles ne lui laissent pas le choix) sur son épouse, Charlotte, ainsi que sur la soeur de celle-ci, Emily.

Ce second volume de la série Charlotte et Thomas Pitt rentre directement dans le vif du sujet avec la découverte des cadavres de deux nourrissons dans Callander Square. Le premier, qui a le crâne déformé, git sous terre depuis environ 2 ans, le second, depuis 6 mois. Si Anne Perry avait du prendre son temps dans L’étrangleur de Cater Street avant d’installer son intrigue policière, le temps de présenter tous les personnages de la famille Ellison et l’inspecteur Pitt, il n’en est pas de même ici. L’enquête démarre donc sur les chapeaux de roue pour le grand et dégingandé Inspecteur Pitt, qui par son métier d’inspecteur de police, a un rang social inférieur à celui d’un majordome, et on le lui fait bien sentir son rang avec beaucoup de mépris. Les puissants font peu de cas de cet inspecteur dont ils redoutent pourtant l’intelligence mais qu’ils traitent comme un simple domestique.

Outre l’enquête policière, on retrouve avec bonheur les personnages qui faisaient tout le sel de la première enquête : Thomas Pitt bien sûr, Charlotte sa femme depuis maintenant deux ans, qu’on avait laissé célibataires mais amoureux, et la pétillante Emily, la jeune soeur de Charlotte, désormais l’épouse de Lord Ahsworth, qui de bals en visites, cherche à pimenter sa vie plutôt monotone et superficielle. Pitt va se retrouver aidé contre son gré et bien malgré lui par Emily, qui par ses relations, va faire la connaissance des résidents du square et découvrir certains secrets enfouis bien profonds, et par Charlotte, qui reprend alors son nom de jeune fille Ellisson, pour devenir la secrétaire du général Ballantyne, en pleine rédaction des mémoires militaires de sa famille. Passionnée d’histoire militaire, elle est chargée de classer correspondances et documents divers pouvant aider le général dans sa rude tâche. Le personnage du général est d’ailleurs très intéressant, tout en rigueur et en droiture, face à sa femme Lady Augusta, forte femme qui ne s’en laisse pas compter et saura sortir sa fille d’un bien mauvais pas.

Thomas Pitt aura bien du mal pendant près de 400 pages à dénouer l’écheveau particulièrement emmêlé qui le mènera à la résolution de l’énigme. Sa tâche : retrouver la mère des bébés afin de savoir si ils étaient morts nés et dans ce cas, elle ne sera pas poursuivi, ou si ils ont été victimes d’un meurtre et dans ce cas, la mère régicide risque la corde. A sa décharge, il faut bien reconnaitre que les suspectes sont nombreuses : toutes les femmes en âge d’être mères sont soupçonnées, depuis les femmes de ménage jusqu’aux maîtresses de maison, pas une n’échappe à Pitt. Outre ces femmes, il y a une galerie d’hommes savoureuses : le médecin maitre chanteur, le banquier poltron, le politicien vertueux, le général fleur bleu, son fils, homme droit et intègre, etc. Toutes les forces mais aussi et surtout les faiblesses des protagonistes, leurs motivations rendent la lecture intéressante et palpitante. Presque tous font des suspects parfaits et j’en ai soupçonné plusieurs, des femmes aussi d’ailleurs !

Au-delà de la mort des deux nourrissons, il y a la découverte par Charlotte et Emily du cadavre d’une jeune femme disparue depuis deux ans et qu’on croyait enfuie à l’étranger avec son amant, elle est enceinte et retrouvée dans la maison abandonnée du square. Cette découverte va précipiter un nouveau meurtre, le coupable se sentant en danger.

Anne Perry, qui connait les us et coutumes de l’époque victorienne sur le bout des doigts, en profite, au-delà de l’intrigue policière, pour dévoiler la société victorienne dans tous ses aspects : la place des femmes dans cette époque éminemment misogyne. Qu’elles soient simples domestiques, à la merci de leurs patrons, ou aristocrates, à la merci de leurs maris, les femmes ont finalement peu leur mot à dire, elles doivent rester à la place qui leur est dévolue par les hommes et ne point en sortir. Une thématique par ailleurs déjà abordée dans L’étrangleur de Cater Street mais plus développée ici. Bourgeoises et aristocrates sont maitresses de leur maison et de leur domesticité mais à part cela, elles sont obligées de supporter les affronts imposés par leur mari (maitresse, jeu, enfants adultérins…) sans broncher. Les petites bonnes, elles, n’ont pas cette chance. Droit de cuissage oblige, elles sont souvent les maitresses forcées de leurs patrons et vivent dans la crainte d’une grossesse, synonyme de renvoi et de misère. Charlotte et Emily font figure de privilégie car elles ont une vie finalement plus heureuse que la plupart des femmes qui les entourent. Amoureuses de leurs maris et aimées en retour, dans des milieux où les mariages de raison sont rois, elles ont aussi une entière liberté quant à leur emploi du temps, elles sont donc bien mieux loties que la plupart de leurs consœurs !

Ce second opus est un bon cru, le suspens est ménagé jusqu’au bout et le lecteur ne découvre la vérité que dans les toutes dernières pages avec un ultime dénouement très émouvant. Vivement le tome 3 !

Lu dans le cadre d’une lecture commune avec Claire, Virgule et Céline, des challenges La plume au féminin édition 2013, God save the livre édition 2013, Anne Perry, Challenge Victorien, British mysteries et Polars Historiques :