Les petits sacrifices – Caroline Sers

Les Petits Sacrifices déroule l’histoire d’une famille de notables français, les Dutilleul, sur trois générations, de la Grande Guerre jusque dans les années 1950. Petite fille au moment de la déclaration de guerre en 1914, Charlotte grandit dans le souvenir des catastrophes survenues lors d’une réception que donnent ses parents le jour de l’assassinat de Jaurès. Jeune femme, elle est « sacrifiée » à l’intérêt familial et mariée à un commerçant afin de sauver la propriété à la campagne, menacée de saisie. Mère, elle en viendra à prendre une décision terrible pour éviter l’effondrement de tout ce en quoi elle croit. Quel est le prix à payer pour continuer à faire partie de la « bonne société » ?

A la veille de la première guerre mondiale, les Dutilleul font partie de la grande bourgeoisie : un appartement boulevard saint germain et une grande maison de campagne à une cinquante de kilomètres de la capitale avec moult serviteurs pour obéir et exécuter leurs moindres désirs.

Henri, le père, est un homme effacé et distant qui n’a que peu de relations avec sa femme, Marie, à qui il laisse l’éducation de ses enfants Pierre, Fabrice, Geneviève et Charlotte.

Dans ce monde bien pensant de la fin de la Belle-Epoque, les apparences sont reines et l’on se doit dès le berceau de savoir tenir son rang, ne jamais faire l’objet de scandales… Marie, née de Delbe, y veille sans pitié.

Le jour de l’assassinat de Jean Jaurès, les Dutilleul, reçoivent comme chaque année pour la fête de l’été l’ensemble de leurs relations d’affaires et mondaines. Et c’est lors de cette soirée que la vie des Dutilleul va basculer inexorablement.

La petite Charlotte, 10 ans, véritablement sauvageonne et souffre-douleur de sa mère, est sauvagement violée par un client de son père et lorsque sa mère la voit échevelée et la robe salie, elle est immédiatement reléguée dans sa chambre avec interdiction de taire ce crime à jamais.

Mais un autre crime va venir ternir la famille à jamais ce soir-là. Henri, pris, semble-t-il de démence, va assassiner l’un de ses invités. Pourquoi ? On ne le saura jamais car l’homme va se murer dans le silence et le destin des Dutilleul, qui semblait tout tracé, va être pris dans la tourmente de la première guerre mondiale et prendre une tournure inattendue.

J’avais repéré ce roman lors de sa sortie en 2011 et aussiôt noté sur ma whishlist. Acheté l’an dernier, il m’aura fallu près d’un an pour le sortir de ma PAL mais seulement une journée pour le lire tant il m’a passionné !

En trois chapitres et autant d’époques, 1914, 1934 et 1954, Caroline Sers nous raconte par le menu la grandeur et la décadence de la famille Dutilleul à travers trois personnages féminins.

La petite Charlotte pour 1914, Geneviève pour 1934, les filles de Marie qui reste la figure centrale du récit sans pour autant en être jamais la narratrice, et Nicole, la fille de Charlotte qui subit l’éducation rigide de sa mère et de sa grand-mère sous le regard impuissant de son père Serge, relégué comme pièce rapportée de la famille qui n’a eu le droit d’y entrer que grâce à sa fortune.

Serge est d’extraction modeste, Charlotte et Marie lui font bien sentir que ses manières et ses idées ne sont pas de leur monde et par conséquent, il n’a pas voix au chapitre en matière d’éducation et doit rester à sa place, à l’usine.

Charlotte, marquée par son viol alors qu’elle n’était qu’une petite fille, on le saurait à moins, va se persuader que si viol il y eut, cela ne pouvait qu’être de sa faute, comme le lui a dit sa mère ce soir funeste de 1914 et va se composer un corset moral que rien ni personne ne pourra fissurer et qui va faire de la vie de sa fille un enfer.

Seule Geneviève osera rompre cette éduction et refusera le schéma familial. Elle mènera une vie libre et indépendante, s’affranchissant des petits sacrifices imposés pour tenir son rang.

Caroline Sers parvient à merveille à nous dépeindre la cruauté de la grande bourgeoisie du début du 20è, les petits arrangements qu’elle a du prendre pour maintenir son rang et surtout le poids des secrets et des apparences dans ce milieu où un scandale précipite la ruine.

Un drame familiale très réussi, brillamment écrit, je vous le recommande !