Marceline Loridan-Ivens, née en 1928, déportée à Auschwitz-Birkenau avec son père, a été actrice, scénariste, réalisatrice. On lui doit notamment « La petite prairie aux bouleaux », avec Anouk Aimée (2003), de nombreux documentaires avec Joris Ivens, et Ma vie balagan (Robert Laffont, 2008). Elle est décédée à Paris le 18 septembre 2018.
« J’ai vécu puisque tu voulais que je vive. Mais vécu comme je l’ai appris là-bas, en prenant les jours les uns après les autres. Il y en eut de beaux tout de même. T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur.
Je voudrais fuir l’histoire du monde, du siècle, revenir à la mienne, celle de Shloïme et sa chère petite fille. »
Le 29 février 1944, Marceline Rozenberg a quinze ans lorsqu’elle est arrêtée par la Milice française et la Gestapo en même temps que son père, Shloïme lors d’une rafle dans le Vaucluse où sa famille réside depuis deux ans au Domaine de Gourdon à Bollène.
Déportée à Auschwitz-Birkenau par le convoi 71 du 13 avril 1944, le même que celui de son père, de Simone Veil, avec laquelle la liera une amitié indéfectible, de Ginette Kolinka et de Anne-Lise Stern. Elle est ensuite transférée à Bergen-Belsen, et finalement au camp de concentration de Theresienstadt.
Tout au long de sa captivité, elle subit l’horreur des camps : la faim, le froid, l’odeur des chairs brûlées, les expériences du tristement célèbre docteur Mengele… et parvient à survivre. Elle recouvre la liberté à la libération du camp, le 10 mai 1945 par l’Armée rouge.
Son père, lui, ne reviendra jamais d’Auschwitz. Elle l’attendra, en vain, à l’hôtel Lutétia des semaines durant avant de se résoudre à retrouver le domaine familial.
Soixante-dix ans plus tard, elle lui adresse une lettre, rédigée avec la journaliste et écrivain Judith Perrignon, où elle raconte sa captivité, son retour, sa vie d’après.
C’est un témoignage tout en pudeur et en sobriété, qui n’en est pas moins poignant, que nous livre Marceline Loridan-Ivens dans Et tu n’es pas revenu, auréolé du prix ELLE des lectrices document lors de sa parution il y a quelques années déjà.
L’ouvrage revient sur son expérience de la déportation et sur sa conviction que la France n’a pas regardé en face son rôle dans la Shoah.
Véritable lettre d’amour à ce père qu’elle va chercher toute sa vie, elle lui raconte son quotidien dans le camp puis son retour parmi les siens, ceux qui n’ont pas été déportés et qui ne peuvent pas comprennent et ne veulent pas entendre parler de cet enfer qui a englouti le patriarche.
Alors, comme beaucoup d’autres rescapés de la solution finale, elle ne parlera pas à ses proches, préférera se taire, rongera son frein lorsque sa mère se remarie, alors qu’elle reste inconsolable de la perte de son père adoré.
Sa famille est brisée par l’absence de Shloïme : deux de ses enfants finiront par se suicider et Marceline connaîtra elle aussi l’envie de mourir par deux fois après l’innommable, la barbarie, la mort dans les camps. Mais aussi la solidarité avec ses compagnes d’infortune Ginette, Dora, Simone… qui sont devenues ses amies pour la vie.
Malgré cela, Marceline n’a jamais renoncé à vivre, même lorsqu’elle était au plus près du gouffre. Une envie de vivre qui ne l’a presque pas quittée dans une vie bien remplie de scénariste et de cinéaste, avec des amours mais un choix assumé de ne pas enfanter.
Un témoignage court mais percutant sur la shoah à mettre entre toutes les mains !