Cette biographie très alerte fait fi des clichés qui accompagnent la vie de Francis Scott Fitzgerald. D’un côté, un jeune écrivain talentueux, beau, marié à une femme excentrique, emblématique de toute une époque, qui, à l’âge de 24 ans publie un premier roman, L’envers du paradis, au succès foudroyant. De l’autre, la chute vertigineuse, qui passe par l’alcool, l’argent, la folie.
Celui que Philippe Sollers appelle le « vaincu exemplaire » et Eric Neuhoff le « romantique absolu » est avant tout un écrivain un des meilleurs de sa génération qui, toute sa vie, tente de régler le conflit fondamental qui le détruit, entre son besoin irrésistible d’écrire et « un concours de circonstances acharnées à l’en empêcher ». Fitzgerald ne ment jamais ni quand il se saoule, ni quand il se bat, ni quand il fait face aux humiliations, ni quand il revendique son goût du travail bien fait, ni quand il erre de casinos en hôtels. On le découvre ici, personnage attachant, dans son intimité, en bon père attentif qui s’occupe de sa fille Scottie, ne délaisse jamais Zelda, et se ruine la santé pour gagner l’argent nécessaire à l’entretien de son petit monde. Au moment de sa mort, en 1940, à 44 ans, alors qu’il s est remis au travail et écrit Le dernier Nabab, il n’a plus un sou et on ne trouve plus un seul exemplaire de ses livres en librairie…
Lorsque j’avais vu cette biographie de Francis Scott Fitzgerald dans la sélection ELLE de novembre reçue par mes co-jurées, j’ai croisé très fort les doigts pour qu’elle passe ce premier cap et qu’elle arrive jusqu’à moi, heureusement ce fut le cas. De ce grand auteur américain, je n’ai lu qu’une seule œuvre, son plus grand succès, Gatsby le Magnifique, que j’ai beaucoup aimé et dont j’ai seulement regretté qu’il fut trop court tant je serai bien restée immergée dans ce New-York des années 20 avec Nick Carraway et Gatsby ! Il me tardait donc d’en savoir plus sur sa vie et son oeuvre.
Liliane Kerjean nous relate ici la vie de Fitzgerald de sa naissance à sa mort, et pour moi qui ne la connaissais pas du tout, j’ai appris énormément de choses, l’auteure m’a semblé très bien documentée aussi bien sur la vie et l’oeuvre de Fitzgerald que sur l’époque. Elle nous brosse ici le portrait d’un jeune homme doué et très talentueux, qui aura souffert toute sa vie de n’être pas riche, et qui n’aura de cesse de courir après l’argent. Très tôt il est attiré par l’écriture, le théâtre et la mise en scène et connaitra de jolis succès dès l’université avec ses pièces. Après la guerre de 1914-1918, il mettra un an avant de se faire éditer et de vivre de sa plume, parfois chichement, à son grand dam car il a besoin d’argent pour épouser son grand amour, Zelda, qui ne veut mener grand train. Fitzgerald va rapidement devenir un écrivain célèbre, notamment grâce aux nouvelles publiées dans les journaux qui le paient à prix d’or, et fêté de son vivant, grâce à cette folle décennie des années 20 qu’il va peindre comme personne et qu’il va vivre aussi pleinement. L’homme est intelligent et fin lettré, très grand connaisseur de la littérature de son époque aussi bien américaine qu’européenne et notamment française puisqu’il aura l’occasion de côtoyer le gratin littéraire de notre pays au cours de ses nombreux séjours à Paris et sur la Côte d’Azur.
Au sortir de la première guerre mondiale, il épousera sa perle du sud, Zelda, qui sera son bonheur mais aussi son malheur. L’auteure ne voue pas Zelda aux gémonies mais elle penche un peu du côté de Scott tout de même. Les amoureux seront en fait un poison l’un pour l’autre, jaloux l’un de l’autre. Zelda est dépensière et il faut toujours plus d’argent pour des vêtements, des bijoux, des maisons, des voyages, rien n’est trop beau. Désireux de briller au yeux du monde et de s’enivrer chaque nuit davantage, le couple pourtant parent d’une petite Scottie dont son père est très proche, n’aura de cesse de brûler la chandelle par les deux bouts, poussant Zelda dans la folie et Scott dans un alcoolisme qui lui coûtera la vie. Liliane Kerjean dépeint admirablement la vie de ce couple infernal, pris dans le tourbillon des années 20, qui va se retrouver K.O debout dès le début des années 30. Adieu alors à la vie de rêve, place à la longue descente aux enfers : l’asile pour Zelda et le tarissement de la sève littéraire pour Scott, qui, lorsqu’il dresse le bilan des années écoulées, a l’impression de n’avoir rien fait. Il a moins de succès, ses livres ne se vendent plus et c’est son grand ami Ernest Hemingway qui règne désormais au sommet des lettres américaines, il en aura beaucoup d’amertume. Heureusement, Le dernier nabab, lui permettra de renouer un court moment avec le succès et apaisera sa crainte de ne pas rester dans l’histoire littéraire de son pays.
Fitzgerald le désenchanté est sans conteste une bonne entrée en matière pour celles et ceux qui souhaitent connaitre la vie et l’oeuvre de Fitzgerald mais aussi les passionnés des années 20 car Liliane Kerjean restitue cette époque brillamment. L’ouvrage semblera peut-être trop succinct pour les inconditionnels de l’auteur qui connaissent sa vie sur le bout des doigts. Cette biographie, passionnante, se lit en tout cas très bien et je vous la recommande si le sujet vous intéresse.
Lu dans le cadre du Grand prix ELLE des lectrices 2014 et du challenge La plume au féminin édition 2013 :