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Posts Tagged ‘la cote 400’

Elle rêve d’être professeur, mais échoue au certificat et se fait bibliothécaire. Esseulée, soumise aux lois de la classification de Dewey et à l’ordre le plus strict, elle cache ses angoisses dans un métier discret. Les années passent, elle renonce aux hommes, mais un jour un beau chercheur apparaît et la voilà qui remet ses bijoux. Bienvenue dans les névroses d’une femme invisible. Bienvenue à la bibliothèque municipale, temple du savoir où se croisent étudiants, chômeurs, retraités, flâneurs, chacun dans son univers. Mais un jour ce bel ordre finit par se fissurer.

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Après avoir refermé Les déferlantes, j’ai eu un vrai petit moment de déprime et beaucoup de mal à me projeter dans une nouvelle lecture. Heureusement pour moi, j’avais emprunté quelques jours auparavant à la médiathèque La cote 400 de Sophie Divry, un court roman, qui, je l’espérais aller me changer les idées.

L’auteure nous livre ici le long monologue d’une bibliothécaire, sans pause ni respiration (pas de saut de ligne, pas de paragraphe ni de chapitre). Un livre court mais dense et passionnant dans ses propos. L’héroïne est donc une bibliothécaire cinquantenaire d’une petite ville de province, célibataire et grande lectrice de Maupassant (je ne peux qu’approuver ce choix), qui s’ennuie dans son rayon de géographie alors qu’elle rêve d’être responsable de celui d’histoire.

Reclue dans son sous-sol où elle s’ennuie ferme, car oui le rayon de géographie peu fréquenté et mal aimé se situe au sous-sol, une vraie injustice selon notre héroïne, qui pour se venger, déteste les architectes et leur mène la vie dure lorsqu’ils pointent le bout de leur nez dans son rayon. Ceci dit je la comprends, si j’étais bibliothécaire je n’aimerais pas être en sous-sol et encore moins au rayon géographie soit dit en passant.

Lorsqu’un beau matin, elle découvre un lecteur endormi depuis la veille sur la moquette de son rayon, elle se met à lui parler sans relâche, à l’interpeller, à vider son sac d’amertume et de regrets, en attendant l’ouverture au public. Elle se livre toute entière, confie ses frustrations, ses échecs et ses rancœurs qu’elle charrie depuis des années. Aigrie par son manque d’évolution professionnelle où on ne lui témoigne aucune considération ni importante, elle se sent transparente et inutile. Elle trouve désormais son métier ennuyeux, dévalorisant et voit les hommes comme des faiseurs de désordre, surtout depuis qu’elle s’est fait plaquer par Arthur pour les beaux yeux d’une ingénieure nucléaire ! Seul trouve grâce à ses yeux Martin, un jeune chercheur, qu’elle aimerait inviter à boire une cup of tea (et pas que ça à mon avis) dans son appartement du boulevard Victor Hugo, sis entre le cimetière et la boucherie. Mis à part Martin, elle préfère la compagnie des livres mais déplore que les bibliothèques ne soient pas des lieux plus conviviaux et qu’ils tendent désormais davantage vers l’aire de loisirs où le public consomme et plus comme un lieu de culture. Je ne lui donne pas forcément tort sur ce point, je fréquente assidument la médiathèque de Vannes mais je n’ai jamais d’échange avec les bibliothécaires qui ont l’air de plutôt s’ennuyer d’ailleurs !

J’ai passé un vrai bon moment avec ce roman de Sophie Divry, que j’ai trouvé percutant, vraiment drôle car cette bibliothécaire est totalement barrée ! J’ai aimé ce personnage qui, bien que réactionnaire, rigide et maniaque (à mille lieux de moi donc) est aussi très attachante par ses coups de colère mais aussi ses coups de cœur, très humaine en fait. Intarissable sur son métier, elle nous apprend l’histoire des bibliothèques et du classement, et nous livre l’aberration suprême : cette classe 400 laissée vacante et ça, c’est clairement pas possible pour notre bibliothécaire qui abhorre le flou et le désordre. Avec quelques vérités bien senties  notamment sur la rentrée littéraire qui en prend pour son grade au passage, quelques provocations sur le métier, les lecteurs, les politiques publiques, le service public, la hiérarchie au sein des bibliothécaires…, Sophie Divry tape là où ça fait mal. Les bibliothécaires n’aimeront peut être pas ce portrait d’une bibliothécaire qui cumule quelques clichés, j’ai pris toute cette lecture au second degré et l’ai trouvé réjouissante.

Un roman que je ne peux que vous conseiller tant il est intelligent et drôle et une fois n’est pas coutume, je termine par quelques citations :

Être une bibliothécaire n’a rien de valorisant, je vous le dis : c’est proche de la condition d’ouvrier. Moi je suis une taylorisée de la culture. (p12)

Quand je lis, je ne suis plus seule, je discute avec le livre. (…) je peux tout oublier (p 20)

C’est aussi pour ça que je ne voyage plus : partout où je peux aller, Napoléon est déjà passé, je n’en peux plus. (p 28)

Quand je vois, à la rentrée, tous ces livres niaiseux qui envahissent les librairies alors qu’ils ne sont, quelques mois plus tard, plus bons qu’à se vendre au kilo. (p 39)

heart_4Lu dans le cadre du challenge La plume au féminin édition 2013  :

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