Juillet 1918, le tsar Nicolas II, sa femme et leurs cinq enfants sont exécutés par les bolchéviques. En s’appuyant sur le journal de l’archiduchesse Olga, l’historien démonte cette version officielle et montre que la tsarine allemande et et ses filles auraient été épargnées pour maintenir la paix avec Guillaume II.
Vous vous souvenez peut-être que j’ai lu l’année dernière deux romans qui avaient pour toile de fond l’assassinat du tsar Nicolas II et de toute sa famille. Ces deux romans policiers soulignaient les zones d’ombres et les mensonges qui entourent la fin des Romanov et la possibilité que tous n’ont peut-être pas été tués. Ces deux romans policiers Le complot Romanov de Steve Berry, qui m’avait hélas laissé sur ma faim, et L’œil du Tsar Rouge de Sam Eastland, brillantissime de bout en bout, ont aiguisé mon appétit sur cette tragédie. Aussi, lorsque j’ai vu dans la sélection Masse Critique Babelio cet ouvrage de Marc Ferro, je n’ai pas hésité une seconde, et heureusement pour moi, j’ai eu la chance d’être sélectionnée. Un grand merci à Babelio et aux éditions Tallandier pour cet envoi !
Que s’est-il réellement passé au rez-de-chaussée de la maison Ipatiev d’Ekaterinbourg dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 ? Depuis cette date, le destin tragique des Romanov a fait l’objet des rumeurs les plus folles, entrainant bien des spéculations et des controverses. Le rapport du juge Sokolov qui conclut à la mort du tsar Nicolas II, de la tsarine Alexandra, des grandes-duchesses Olga, Maria, Tatiana et Anastasia, du tsarévitch et de plusieurs de leurs serviteurs, dont leur médecin, est ici remis en cause par Marc Ferro.
L’historien réfute la thèse officielle prônée par le régime soviétique, car si la mort du tsar et des serviteurs ne fait pour lui aucun doute, le sort des autres membres de la famille Romanov est sujet à caution. S’il n’apporte aucune réponse concernant le jeune Alexis, Marc Ferro est persuadé que les « princesses allemandes » ont été exfiltrées vers l’Allemagne. La tsarine, bien qu’élevée en Angleterre, est la sœur du grand-duc Hesse et du kaiser Guillaume II. Le roi d’Angleterre George V, cousin préféré du tsar, propose de recueillir la famille mais son peuple, qui voue une haine tenace à Nicolas le sanglant, l’oblige à faire volte-face, il ne reste donc plus que le Kaiser. Ce dernier veut absolument les sauver et envoie un émissaire auprès de Lénine en vue de négocier un accord. Lénine consent alors à un échange de prisonniers politiques (des activistes bolchéviques) et promet la vie sauve à la tsarine et aux grandes-duchesses. Si l’on n’a pas trace de leur libération et de leur fuite vers l’Allemagne, plusieurs activistes seront bel et bien libérés par l’Allemagne.
Aux toutes premières heures du régime soviétique, Lénine et ses compagnons ne veulent pas donner une image de revanchards sanglants, ils veulent traduire Nicolas II en justice, un procès est même prévu et c’est le commissaire à la guerre Léon Trotski qui s’en charge. Malheureusement pour le tsar, le soviet de l’Oural, dont dépend Ekaterinbourg, craint une tentative d’évasion menée par les Blancs et leurs alliés les tchécoslovaques, et décide, sans l’accord de Lénine, de liquider le monarque. Ils avouent au départ avoir tuer seulement Nicolas II, pour ensuite confesser qu’ils ont en fait massacrer tous les résidents de la maison Ipatiev. Nicolas le sanglant, bien mauvais surnom du tsar qui ne voulait pas régner, qui était contre la guerre et qui a laissé la vie sauve à ses opposants, n’aurait pas eu un sort plus enviable s’il avait été jugé puisque ses frères ont été massacrés eux aussi dans le mois qui a suivi. Les bolchéviques voulaient rendre impossible toute restauration monarchique sans toutefois se retrouver avec du sang sur les mains. L’initiative du comité de l’Oural est bien commode, d’autant que le peloton d’exécution, constitué de lettons et le commandement assuré par un juif, permet d’affirmer qu’aucun russe n’a participé à l’extermination sauvage des Romanov.
Dans les mois qui vont suivre cette nuit tragique, les communiqués annoncent tout et son contraire : toute la famille est saine et sauve, puis toute la famille a été exécutée, puis seul le tsar a été tué, le reste de la famille a trouvé refuge à Perm, etc. On peut légitimement se dire que les dirigeants soviétiques n’ont aucun intérêt à divulguer la mort des Romanov alors que la 1ère guerre mondiale n’est pas terminée et préfère laisser filtrer la seule mort du tsar.
Ce qui apporte aussi de l’eau au moulin de Marc Ferro ce sont les morts opportunes des principaux témoins : tous sont morts subitement ou exécutés dans les mois qui ont suivi l’assassinat des Romanov. Le rapport du juge Sokolov, qui établira la thèse officielle, prend en compte certains témoignages et en écarte d’autres tout aussi crédibles, tous ceux en faveur de la survie des femmes de la famille. Les rapports et interrogatoires des protagonistes sont contradictoires, ils se récusent sans arrêt, mentent, minorent ou au contraire enjolivent leur participation au massacre, pas facile de démêler le vrai du faux dans cet écheveau de déclarations. Marc Ferro n’est pas le seul à s’attaquer au juge Sokolov, d’autres l’ont fait avant lui : Summers et Mangold en 1976, ont démontré que seule une faible partie du dossier Romanov a été publiée.
Marc Ferro revient aussi sur les analyses A.D.N effectuées en 1991, en 1993 et en 1998 sur les crânes retrouvés, analyses contestées par les descendants des Romanov, à juste titre d’un point de vue purement scientifique car la façon dont ils ont été extraits du puits, remis, puis de nouveau extraits, ont rendu vaines toute recherche de la vérité, les corps ont été contaminés, les abords piétinés. Le doute est là encore possible.
A la lecture de ce livre, on peut légitimement se demander si la thèse officielle est bien la vérité, sans toutefois suivre aveuglement toutes les conclusions de Marc Ferro, car si la tsarine et les grandes-duchesses Romanov étaient saines et sauves, où étaient-elles ? Pourquoi ont-elle gardé le silence ? L’auteur affirme que c’est par peur d’être assassinées. Pour lui, la tsarine aurait fini sa vie dans un couvent polonais, Olga, Tatiana et Maria auraient vécu caché mais ils n’apportent aucune preuve à sa théorie (où ? pas de réponse !). La seule à avoir fait parler d’elle est Anastasia, alias Anna Anderson, qui revendique d’être la grande-duchesse, Marc Ferro y croit dur comme fer, pour lui pas de doute possible, Anna Anderson est bien Anastasia. La jeune femme est d’ailleurs reconnue par le grand-duc André et ses tantes Olga et Xenia dès 1919 mais ses déclarations sont soumises à caution car elle ne parle pas un mot de russe et proclame qu’elle est la seule survivante, blessée et sauvée par un soldat.
Reste que Marc Ferro s’appuie sur de nombreux documents et que plusieurs de ses arguments sont malgré tout crédibles, il instille un gros doute mais laisse aussi bon nombre de questions sans réponses.
En refermant ce livre, on ne peut que se dire que le doute est permis !
Lu dans le cadre de la Masse Critique Babelio :