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Posts Tagged ‘rentrée littéraire 2018’

« Le diable a bu du rhum. On a souillé les églises, déterré les cadavres. Saint-Pierre doit se repentir. Tandis que je crache de la boue et du feu, que je ravage les champs, les bêtes et les hommes, ils battent des mains comme des enfants à Carnaval. Ils oublient de redevenir des animaux sages, de faire confiance à leur instinct. Fuyez ! Je suis la montagne Pelée, dans trois heures, je vais raser la ville. Trente mille morts en quatre-vingt-dix secondes. »

8 mai 1902, 5 heures du matin au jardin botanique de Saint-Pierre. Alors que la Montagne Pelée fait des siennes, Othello est sur le point de perdre la vie en duel. Face à lui Georgien d’Outreville, un tueur professionnel engagé par le tuteur de Louise, la femme qui l’aime, afin qu’il se débarrasse de son rival.

Louise attend de l’autre côté du mur, dans une calèche, avec son tuteur et un prêtre censé les marier, une fois Othello tué. Louise n’a aucune intention de consentir à cette union et a prévu de se donner la mort avec le pistolet de poche contenu dans son sac qu’elle serre contre elle.

Louis Mouttet, le gouverneur de Saint-Pierre, depuis quelques mois en poste, a reçu l’ordre de ne pas évacuer la ville, malgré les menaces du volcan qui depuis quelques jours gronde sous leurs pieds. Le professeur Landes a tout fait pour convaincre les autorités, sans résultat.

Marius Hurard, patron du journal Les colonies, est dans son bureau. Depuis que la montagne s’est réveillée, les tirages du journal s’envolent. A 7h52, ils mourront tous ou presque…

Quatre-vingt-dix secondes signe mes retrouvailles avec la verve de Daniel Picouly dont j’avais adoré L’enfant léopard pour lequel il avait reçu le Prix Renaudot, largement mérité.

Dans son nouveau roman, l’auteur donne la parole à la montagne Pelée, héroïne d’une épopée terrifiante, qui va donner la mort à près de trente mille personnes le 8 mai 1902 en seulement quatre-vingt-dix secondes, détruisant au passage la ville de Saint Pierre.

L’histoire totalement véridique de la catastrophe nous est contée par la Montagne Pelée en personne. Pour elle, Saint-Pierre est devenue une ville vénale, une catin, une Sodome tropicale, le berceau de toutes les dérives et paillardises de l’homme : les curés envoient leurs soutanes par dessus tête, les bordels font recette…

Le volcan s’énerve, les avertit par de réguliers grondements, de la fumée, de la lave, il a déjà fait des dizaines de morts chez les bêtes comme chez les hommes aux alentours de Saint Pierre mais personne ne comprend ses avertissements.

Alors, du haut de ses 1 351 mètres, la montagne Pelée décide de punir par sa colère ces humains arrogants et ambitieux. Seuls, quelques-uns, qu’elle a dument choisi, pourront survivre et témoigner qu’ils ont vécu le jour du Jugement dernier, comme Cyparis, au cachot au moment où la nuée ardente va s’abattre sur la ville.

Avec ce roman, Daniel Picouly s’attaque à un fait historique pour lequel je ne savais rien, de ce point de vue là c’était très intéressant d’autant plus que la catastrophe nous est racontée de façon très originale puisque c’est le volcan lui-même qui prend la plume.

Au-delà de la catastrophe en elle-même, l’auteur plante le décor de son récit, nous décrit la société martiniquaise de cette époque avec le pouvoir toujours aux mains des blancs, les noirs qui continuent de suer sang et eau pour un salaire de misère mais qui sont désormais libres de le faire puisque plus sous le joug de l’esclavage. Rares sont ceux qui ont pu s’élever comme Marius Hurard, patron du journal Les colonies, l’un des protagonistes du roman.

Entre les deux, les métisses, ne sont pas bien lotis. A l’instar d’Othello, il leur est difficile de faire des études et ils ne peuvent espérer contracter un mariage avec une personne venue de Métropole comme Louise.

Sur le papier ce sujet m’intéressait beaucoup : le fait historique, un narrateur volcan la satire sociale, l’ignorance sociale, la vie dans les colonies… et après un début de lecture enthousiaste, je vous avoue que je me suis un peu lassée. Comme on connaît l’issue du roman et que l’on suit essentiellement les pensées de la montagne, j’ai été assez frustrée. J’aurai aimé que les personnages humains, qui ne font que traverser le récit, soient plus présents.

Reste que ce roman se lit très bien notamment grâce au talent de Daniel Picouly et à sa plume enlevée et que j’ai appris beaucoup de choses,ce qui n’est déjà pas si mal.

Merci à Babelio et aux éditions Albin Michel pour cette lecture !

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Lu dans le cadre du challenge 1 pavé par mois  :

challenge-un-pave-par-mois

États-Unis, demain. Avortement interdit, adoption et PMA pour les femmes seules sur le point de l’être aussi. Non loin de Salem, Oregon, dans un petit village de pêcheurs, cinq femmes voient leur destin se lier à l’aube de cette nouvelle ère. Ro, professeure célibataire de quarante-deux ans, tente de concevoir un enfant et d’écrire la biographie d’Eivør, exploratrice islandaise du xixe. Des enfants, Susan en a, mais elle est lasse de sa vie de mère au foyer – de son renoncement à une carrière d’avocate, des jours qui passent et se ressemblent. Mattie, la meilleure élève de Ro, n’a pas peur de l’avenir : elle sera scientifique. Par curiosité, elle se laisse déshabiller à l’arrière d’une voiture… Et Gin. Gin la guérisseuse, Gin au passé meurtri, Gin la marginale à laquelle les hommes font un procès en sorcellerie parce qu’elle a voulu aider les femmes.

Salem, États-Unis, dans un futur très proche. Un nouvel ordre religieux règne sur le pays de l’Oncle Sam, les puritains imposent de nouvelles règles liées à la procréation : l’avortement est interdit, l’adoption et la procréation médicalement assistée seront réservés aux couples mariés.

Non loin de Salem, dans un petit village de pêcheurs, Ro, professeure célibataire d’une quarantaine d’années, essaie désespérément de devenir mère. Susan a abandonné ses études de droit pour devenir femme au foyer. Maman de deux enfants, elle est au bord du burn-out, n’arrivant plus à supporter ni son mari ni ses chérubins.

Mattie, la meilleure élève de Ro, perd sa virginité sur le siège avant d’une voiture et s’aperçoit quelques semaines plus tard qu’elle est enceinte. Enfant adoptée, elle refuse cette maternité et veut absolument avorter en dépit des risques encourus. Enfin, Gin la guérisseuse, a abandonné son enfant à la naissance, vit dans une cabane dans les bois et va être accusée de sorcellerie par le proviseur du lycée…

Lorsque l’on commence la lecture de cette dystopie, on ne peut s’empêcher de penser à La servante écarlate de Margaret Atwood avec lequel elle partage quelques points communs. Comme son illustre consœur canadienne, Leni Zumas, qui signe avec Les heures rouges son premier roman, plante son décor au sein d’une Amérique ultra conservatrice qui s’empresse de mettre fin aux avortements, réservant les enfants non voulus aux seuls couples mariés.

La comparaison entre les deux autrices s’arrêtent là. Dans ce roman polyphonique, nous suivons quatre trajectoires de femmes, quatre façons de vivre sa maternité différemment. Il y a la biographe (Ro), l’épouse (Susan), la fille (Mattie) et la guérisseuse (Gin).

L’auteure nous interroge sur les conséquences des choix politiques conservateurs : l’illégalité de l’avortement aux Etats-Unis qui a bâti un mur rose à sa frontière du Canada, ce qu’encourent les femmes y compris les très jeunes filles si elles se font prendre sur le point d’avorter, les risques qu’elles prennent en se faisant avorter dans des cliniques où les règles d’hygiène les plus élémentaires ne sont pas respectées, le coût exorbitant de la PMA, que deviennent les femmes célibataires en désir d’enfant dans un monde où la PMA et l’adoption ne sont réservés qu’aux couples mariés, la vie des femmes dans une société patriarcale où elles ne sont plus libres de disposer de leur corps, etc.

Tous ces questionnements nous rappellent que les droits acquis par les femmes sont très récents et que le moindre changement politique peut les réduire à néant, l’époque à laquelle l’auteure nous transporte est tellement proche que ça en est inquiétant.

Leni Zumas a choisi des héroïnes très différentes dont les récits s’entremêlent tout au long du récit, j’avoue que j’ai eu beaucoup de mal au début de ma lecture, je n’arrivais pas à rentrer dans l’histoire et je trouvais le récit laborieux et puis au bout de quelques chapitres, j’ai été bien ferrée et j’ai trouvé finalement cette histoire assez passionnante.

Bonne idée d’avoir choisi des femmes si différentes, de n’avoir pas cherché à les rendre sympathiques, d’avoir opté pour Salem, célèbre théâtre d’un procès aux sorcières au 17è siècle, comme décor de cette dystopie et de faire un parallèle avec Gin la guérisseuse, que l’on poursuit en justice pour sorcellerie !

Le style clinique et froid, à la fois ironique, impudique, violent et poétique de l’auteure, ne m’a pas totalement convaincue, j’ai eu du mal à m’y habituer mais cela ne m’a pas empêché d’apprécier ce roman captivant.

Les heures rouges est un roman féministe et engagé important, une lecture coup de poing indispensable dans cette rentrée littéraire qui pointe du doigt les dérives conservatrices.

Un grand merci à Anne et aux éditions Presses de la cité pour cette découverte !

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Quand mon père est ressorti du commissariat, il avait l’air perdu. Il m’a pris dans ses bras et s’est mis à pleurer. Un court instant j’ai pensé : ça y est, on y est. Léa est morte.
Puis il s’est écarté et j’ai vu un putain de sourire se former sur son visage. Les mots avaient du mal à sortir. Il a fini par balbutier :  » On l’a retrouvée. Merde alors. On l’a retrouvée. C’en est fini de ce cauchemar. « 
Il se trompait. Ma soeur serait bientôt de retour mais nous n’en avions pas terminé.

Saint-Briac, non loin de Saint Malo. Antoine et sa famille ont quitté Paris pour cette petite station balnéaire bretonne dans laquelle ils passent tous leurs étés. Son père a obtenu un poste de journaliste dans le quotidien local, sa mère, sa mutation dans un collège mais sa sœur Léa, est vent debout contre ce déménagement.

Si Antoine est du genre casanier et plutôt solitaire, la jeune fille doit quitter ses amis, son lycée, abandonner ses endroits préférés pour un village qui ne peut guère rivaliser avec la capitale.

Un soir qu’elle va avec son oncle à un concert, elle disparaît sans laisser de traces. Disparition volontaire ? Fugue ? Enlèvement ? Meurtre ? Toutes les hypothèses sont posées et la famille, sans réponse, va voler en éclats…

La tête sous l’eau est ma première lecture de la rentrée littéraire 2018 et ma rencontre avec la plume d’Olivier Adam, qui a percé il y a vingt ans déjà avec son premier roman Je vais bien, ne t’en fais pas.

Installé à Saint Malo depuis une dizaine d’années, ses romans sont très marqués par les paysages de bord de mer et il y aborde volontiers les douleurs familiales, le manque, les identités flottantes, l’inadaptation sociale, la fuite, autant de thématiques fortes que l’on retrouve ici.

Ce roman a beau être resserré en termes de pages, découpé en courts chapitres et écrit pour un jeune public, il n’en demeure pas moins fort et terriblement addictif, au point que l’adulte que je suis a eu du mal à le lâcher.

C’est à travers Antoine, le narrateur et frère de Léa, que nous entrons de plein fouet dans cette famille et dans le drame qui la secoue. Il nous raconte la dispariton de sa sœur, son manque, combien ce drame a changé leur vie à jamais et fait voler en éclats le couple que formait ses parents jusqu’alors.

Au bout d’une quarantaine de pages, on apprend que Léa a enfin été retrouvée mais la jeune fille, terriblement traumatisée par des mois de captivité, reste muette, ne veut rien confier, ni à la psychiatre, ni aux enquêteurs et encore moins à sa famille.

J’ai beaucoup aimé la construction de ce récit, apprendre en même temps qu’Antoine ce qu’a réellement vécu Léa, la cause de sa disparition, ce que ses parents et sa sœur ont caché. Cet ado m’a beaucoup plu, je l’ai trouvé très touchant. Bien qu’il souffre de cette situation, il préfère aider ses parents et sa sœur plutôt que de se plaindre.

Parallèlement au récit d’Antoine, l’auteur nous donne à lire les emails de Léa avant sa disparition à la personne qui fait battre son cœur, à qui elle confie son manque de ne pas la voir, sa difficulté d’être privée d’elle et son envie d’aller la rejoindre à Paris.

Olivier Adam dose bien son suspens, plus on avance dans l’histoire, plus on a envie d’en connaître le dénouement, d’être conforté dans ce que l’on a deviné de cette histoire finalement simple mais tellement traumatisante pour Léa et sa famille.

Le style de l’auteur est fluide et prenant, on a plaisir à tourner les pages même si le sujet est très grave et loin d’être gai. Une très bonne lecture que je vous recommande, bien racontée, avec la mer et la Bretagne pour toile de fond.

Un grand merci aux éditions Robert Laffont et à la collection R pour cette lecture poignante !

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