Que faire de sa vie quand on a treize ans et qu’on est une fille pauvre, pas laide, sachant lire, sans autre protection que celle d’un vieux curé, d’une tante prostituée et d’une veuve ronchon ?
Nonne ? Jamais. Séraphine est trop insolente. Couturière ? Non plus. Elle a trop envie de parler et de voir du monde. Peut-être qu’un jour les femmes pourront devenir juges, gendarmes ou avocats et faire de la politique…
Peut-être même qu’un jour Dieu Lui-même sera une femme. Mais, pour l’instant, nous sommes en 1885, à Paris, ou plutôt à Montmartre. Le souvenir de la Commune est encore vif chez les uns. Les autres s’occupent de l’enterrer définitivement en bâtissant, là-haut sur la butte, le Sacré-Cœur.
Et Séraphine ne voit qu’une solution pour mener la vie libre et sans misère dont elle rêve : s’en remettre à sainte Rita, la patronne des causes désespérées…
Séraphine est l’adaptation graphique très réussie du roman éponyme de Marie Desplechin que j’avais beaucoup aimé l’an dernier. Un roman qui fait partie de sa trilogie, Les filles du siècle, que je vous recommande chaudement si vous ne l’avez pas encore lue.
Dans ce récit d’apprentissage, nous suivons Séraphine, une orpheline qui vit sur la butte Montmartre, qui se questionne beaucoup sur ses parents, qui, pense-t-elle sont communards, mais à qui on ne veut rien dire. J’aime beaucoup cette petite Phine, bien courageuse, qui n’a pas connu ses parents et a cruellement manqué d’amour. Séraphine est une héroïne attachante, tiraillée entre ses origines communardes et sa foi, sa volonté de soulager la misère de son prochain.
Si les évènements de la Commune et certains personnages sont les fils rouges de la trilogie des filles du siècle, c’est ici que le combat des communards et leur sort après leur défaite, nous est le plus conté. Il faut dire que les parents de notre héroïne et sa nourrice, ont combattu sur la butte et ont vu leurs espoirs et leurs rêves réduits à néant.
On croise Louise Michel revenue de Cayenne mais aussi des peintres, nombreux à Montmartre en cette fin du XIXè siècle et surtout la misère qui y fait rage : les enfants en proie à la faim et livrés à eux-mêmes, des mères si malades qu’elles ne peuvent plus subvenir aux besoins de leur famille…
Edith nous conte fort bien le quotidien de ce peuple de Paris sur la butte Montmartre qui a si mauvaise réputation, ses dessins illustrent merveilleusement bien son scénario et l’histoire imaginée par Marie Desplechin nous est fidèlement contée. Les couleurs assez sombres marchent bien avec ce morceau de Paris engoncé dans la pauvreté.
Une bande dessinée très agréable à lire, avec des thématiques intéressantes et bien traitées, porté par une héroïne pétillante, entourée d’une galerie de personnages hauts en couleurs, le tout dans un Paris bouillonnant à la Zola qui bruisse d’idées nouvelles d’un point de vue artistique, politique et social.
Un grand merci aux éditions Rue de Sèvres pour cette belle lecture, j’ai adoré.