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Désir noir – Anne-Sophie Jahn

Anne-Sophie John, 32 ans, est journaliste au Point depuis 2011, elle est spécialisée dans la musique et la culture pop.

« Un après-midi d’automne, assise à la terrasse d’un café, je listais avec mon éditeur des idées de chapitre pour Les Sept Péchés capitaux du rock, titre de mon premier livre. “Bertrand Cantat.” Un coup de vent glacé m’a fait frissonner. Ou était-ce ce nom, évocateur de mort et de violence ?

Dans mon souvenir, le chanteur de Noir Désir s’était disputé avec sa petite amie, l’actrice Marie Trintignant, un été, en Lituanie. Il lui avait donné une gifle, sa tête avait heurté un radiateur, hémorragie cérébrale, elle n’avait pas survécu. C’était un accident, mais il relevait bien de la colère, puisqu’il était l’issue tragique d’une bagarre.

En rentrant chez moi, j’ai commencé par rechercher des articles de presse relatant l’affaire. Les titres ont défilé. Je cliquais, lisais, ou plutôt dévorais les informations. Je m’étais totalement trompée. La mort de Marie Trintignant n’était pas un accident.

Et si elle n’était pas la seule victime ? »

Avec Désir noir et vingt ans après la mort de Marie Trintignant, Anne-Sophie Jahn mène l’enquête sur la tragédie de Vilnius que l’on n’appelait pas encore féminicide.

A l’été 2003, la mort de Marie Trintignant a été, pour moi, une onde de choc parce que c’était une actrice solaire et parce que celui qui avait asséné les coups, Bertrand Cantat, était une rock star que j’aimais beaucoup. A l’époque, les médias parlaient de tragique accident sous l’emprise de la passion, de la jalousie, de l’alcool et des stupéfiants.

Mais lorsqu’on lit ce récit, qu’on se rend compte du nombre de coups qu’a reçu Marie, on sait qu’il n’en est, en fait, rien. Anne-Sophie Jahn retrace de A à Z non seulement « l’affaire Cantat » et le meurtre de Marie Trintignant mais aussi tout ce qui entoure le suicide de Kristina Rady.

Une enquête sur tous les éléments disponibles et des interviews de témoins, policiers, juristes à distance de l’affaire. Les témoins, sous couvert d’anonymat osent raconter des scènes, des paroles que l’on ne peut que trouver hallucinantes.

Et c’est réellement glaçant mais aussi passionnant. Y a-t-il eu violence avant et après Vilnius? Le suicide de Kristina Rady a-t-il été provoqué par Bertrand Cantat, qui apparait ici jaloux, possessif et harceleur ?

Le déchaînement de violence qui a tué Marie Trintignant, la multiplicité des coups qu’elle a reçu, et ce que l’on sait des violences conjugales permettent de penser que oui, ce n’était pas un acte isolé, mais sans preuve irréfutable Cantat ne risque pas d’être ennuyé car les témoins qui, au départ, affirmaient que le chanteur était violent, se sont tous rétractés et en premier lieu son épouse.

Certes Cantat n’a jamais tenté de fuir la justice mais elle a été bien clémente envers lui. La peine, légère, a été divisée en deux et le chanteur a bénéficié en Lituanie et en France d’une détention VIP avec cellule individuelle, un régime de semi-liberté très tôt, un frigo personnel qu’il cadenasse pour qu’on ne lui vole pas ses yaourts !

Le suicide de Kristina Rady a-t-il été provoqué par la violence physique et psychologique ? On n’a l’impression que justice n’a pas été faite sur suicide, mais qu’il n’y aura jamais de réponse. Tous les thèmes employés à l’époque  » drame passionnel » « amour fou » sont heureusement devenus inacceptables.

Un livre qui épluche méticuleusement la presse et le dossier, pour en faire une synthèse à laquelle rien ne manque. Il n’y a aucune révélation, mais vingt ans après, il est intéressant de réexaminer l’affaire à la lumière de l’évolution de la société, notamment l’émergence de la notion de féminicide. Et on réalise mieux l’esbroufe des postures morale du meurtrier de Marie et l’omerta qui l’entoure encore vingt ans après l’affaire.

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