Littérature française

Entrez dans la danse – Jean Teulé

Une étrange épidémie a eu lieu dernièrement
Et s’est répandue dans Strasbourg
De telle sorte que, dans leur folie,
Beaucoup se mirent à danser
Et ne cessèrent jour et nuit, pendant deux mois
Sans interruption,
Jusqu’à tomber inconscients.
Beaucoup sont morts.
Chronique alsacienne, 1519.

Strasbourg, 12 juillet 1518. Rue du Jeu-des-Enfants, Enneline Troffea sort de l’atelier de xylogravure de son époux Melchior, son bébé dans les bras. Elle chemine jusqu’à un pont puis jette son enfant dans le fleuve.

Dans la maison d’à côté, le drapier Jérôme Gebviller et sa femme Attale viennent de finir leur repas. Les reliefs sont encore sur la table, ce sont les restes de leur petite fille qu’ils ont fait rôtir et mangée.

Les habitants de la capitale alsacienne meurent de faim et en sont réduits à manger leurs excréments ou leurs propres enfants. Pendant ce temps-là, les caves de l’évêque et des couvents, débordent de nourritures diverses et variées qu’ils ne veulent en aucun cas partager, arguant qu’il s’agit d’une punition divine envers les pêcheurs.

Ces femmes et ces hommes qui ont tout perdus, sont pris d’une frénésie de danse et se mettent à virevolter dans les rues de la ville jusqu’à leur dernier souffle…

Avec Entrez dans la danse, Jean Teulé, s’attaque une fois encore à un épisode méconnu de notre histoire. Comme dans Mangez-le si vous voulez, le romancier nous relate un événement tragique survenu dans la ville de Strasbourg, un phénomène inédit qui ne s’est jamais produit ailleurs, avant ou après et on peut s’en féliciter car cette épidémie de danse a fait de nombreux morts.

L’histoire est horrible, voire parfois carrément gore mais une fois commencé, très difficile de le lâcher. Comme toujours, Jean Teulé écrit sans filtre et pourtant cet aspect gore ne m’a jamais rebuté dans ma lecture car l’auteur ajoute une pointe d’humour de temps en temps.

Vous l’aurez compris, le sujet est particulièrement dur car il est question de famine, de maladies, d’infanticides, de cannibalisme, d’injustice dans une époque où le clergé s’enrichit toujours plus au détriment du peuple.

C’est d’ailleurs l’un des dadas de Jean Teulé, bouffer du curé et avec cet épisode, on ne peut que lui donner raison et s’indigner devant les moines et l’évêque bien gras, qui laissent mourir les gens de faim et, cerise sur le gâteau, sont répugnants au point de ne penser qu’à une chose : s’enrichir en vendant des indulgences promettant à pauvres hères, le paradis.

Ces procédés religieux abjects ont fait le terreau du protestantisme et la croisade de Martin Luther contre le riche clergé et notamment contre ces fameuses indulgences qui vont finir par disparaître plusieurs centaines d’années plus tard, paraît très juste car monnayer le paradis à ouailles, c’est vraiment abject.

L’idée de reprendre cette histoire est très originale et m’a réellement interpellée tant les faits qui se sont déroulés il y a 500 ans sont incroyables. Jean Teulé, en ce basant sur la vérité historique, ne cherche pas à expliquer les causes du phénomène, pourquoi il a commencé et comment il a pu s’arrêter (qu’on ne sait toujours pas expliquer d’ailleurs) mais nous relate à sa manière et avec la verve qui lui est propre et que j’aime beaucoup, ce qui a pu se passer tout au long de l’été 1518.

Avec son tyle très cru, ses images directement issues du 21è siècle (flash mob, rave party…) et son érudition, Jean Teulé nous plonge au cœur d’un épisode tragique de la Renaissance et le fait revivre sous nos yeux. Pour ma part, j’ai été happée par cette histoire qui sort des sentiers battus. Ses descriptions et ses personnages sont à la fois truculents et horribles, les propos à la fois cruels et doux et je suis entrée dans la danse de la première à la dernière ligne.

Un grand merci à Filipa et aux Editions Julliard pour cette lecture atypique.

7 commentaires sur “Entrez dans la danse – Jean Teulé

  1. En voilà un qu’il me faut lire très vite ! Un nouveau Teulé est toujours un événement pour moi. J’ai rarement été déçue par ses écrits.

  2. Je n’ai pas lu le livre mais j’ai entendu l’émission de Franck Ferrand avec Jean Teulé sur Europe 1 le 7 février qui relatait cet épisode de l’histoire. C’était très intéressant !

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