Les amants du Lutetia – Emilie Frèche

Emilie Frèche, scénariste, réalisatrice et romancière a publié une dizaine de romans, dont Les Vies denses (Ramsay, 2001), Chouquette (Actes Sud, 2010), Deux étrangers (Actes Sud, prix Orange 2013), Un homme dangereux (Stock, 2015), Vivre ensemble (Stock, 2018). 

Le matin du 1er septembre, un garçon d’étage de l’hôtel Lutetia, découvre Ezra et Maude Kerr, un couple d’octogénaires, main dans la main, endormis pour l’éternité.

Ce geste ultime et romantique, cette liberté qu’ils n’ont pas hésité à s’offrir a certes du panache, mais Ezra et Maud ont-ils pensé à leur fille Eléonore qu’ils laissent en proie à l’incompréhension et au chagrin ?

Ont-ils seulement pensé à elle en planifiant leur mort spectaculaire, leur funérailles extravagantes, le legs compliqué de leur maison des Bulles ?

Ultime coup d’éclat d’un couple de publicitaires, vendeurs de rêves, incarnations vibrantes des dernières décennies euphoriques du XXe siècle ou témoignage d’amour maladroit, absurde, tapageur mais d’amour malgré tout ?

Pour bâtir l’intrigue des Amants du Lutetia, Emilie Frèche s’est inspirée d’un fait réel, le pacte suicidaire de deux octogénaires en 2013. Bernard, ancien haut fonctionnaire du Commissariat général au Plan, et Georgette Cazes, tous deux âgés de 86 ans, avaient réservé, une semaine avant leur décès, sur Internet leur chambre au Lutetia. Ils étaient arrivés à l’hôtel le jeudi soir avec un bagage et avaient demandé qu’on leur apporte à 8h30 leur petit déjeuner.

Mais l’employé qui leur monte le plateau trouve porte close. Quand il accède enfin à la pièce, il découvre les deux retraités étendus sur le lit, main dans la main, un sac en plastique sur la tête. Bernard et Georgette désiraient sans doute être rapidement retrouvés et se seraient donné la mort peu avant l’arrivée du garçon d’étage.

Partant de cette histoire, Emilie Frèche a imaginé des personnages de fiction, Ezra et Maude, mariés depuis près de sept décennies, ont décidé de mourir ensemble alors qu’ils n’étaient pas en fin de vie, suscitant l’incompréhension de leur fille unique Eléonore.

Un suicide mais aussi un geste politique puisque les défunts dénoncent l’absence de loi permettant de mourir «sereinement». Pourquoi ce suicide ? Par peur de la fin de leur autonomie, de la séparation, de la déchéance ? Tous deux ont perdu tous les membres de leurs familles à Auschwitz et ont eu du mal à créer un lien avec leur fille unique qui se sent totalement abandonnée.

Le couple a prévu dans les moindres détails leur suicide mais aussi leur succession, ne laissant à leur fille aucune décision. Elle leur en veut, n’arrive pas à leur pardonner ni à signer les papiers de la succession au grand dam de son fils Simon qui décide de reprendre le flambeau de ses grands-parents en créant le buzz sur les réseaux sociaux pour que le nom de ses grands-parents rayonne et pour qu’une loi sur la fin de vie soit votée.

Le sujet est délicat mais il est bien mené et bien écrit par Emilie Frèche qui signe un roman très intéressant et plutôt juste. L’histoire est racontée du point de vue d’Eléonore qui livre l’histoire de ses parents et son vécu difficile avec eux.

Ses parents, fondateurs d’une agence de publicité dans les années 80 vivaient une vie très libre, très superficielle sans aucune limite. Le couple est fusionnel et Eléonore est laissée de côté. Éléonore ne recevra aucun amour de la part de ses parents. Elle pourrait se dire bon débarras mais non, elle a du mal à faire son deuil, elle souffre et la colère s’est emparée d’elle. Et cerise sur le gâteau, sa relation avec son fils, jusqu’ici fusionnelle, est en miettes. Il idolâtre ses grands-parents et ne comprend pas la réaction de sa mère.

Émilie Frèche aborde avec beaucoup de subtilité les questions épineuses liées à la liberté et la dignité au crépuscule de la vie. Elle nous questionne, donne la parole à chacun sans parti pris, sans jugement, et c’est justement ça qui rend ce roman si intéressant.