Martin Schulse, Allemand et Max Eisenstein, juif Américain, sont deux galeristes associés, aux Etats-Unis. Ils sont surtout deux amis fervents, deux frères. Malgré l’installation de Martin à Munich, ils poursuivent leur amitié à travers des lettres chaleureuses, passionnées. En juillet 1933 pourtant, les doutes et le malaise de Martin face aux remous du gouvernement allemand font vite place à un antisémitisme que ne tempère plus la moindre trace d’affection. D’une cruauté imparable, sa décision tombe comme une sentence : « Ici en Allemagne, un de ces hommes d’action énergiques, essentiels, est sorti du rang. Et je me rallie à lui. » Max ne peut se résoudre à une telle révolution, sentimentale et politique.
Voilà un court roman (et oui j’y suis abonnée en ce moment car j’essaie d’avancer en parallèle dans Anna Karénine) épistolaire qui a attéri dans ma PAL après le billet que lui a consacré George suite à sa lecture, et lorsque je l’ai trouvé d’occasion je n’ai pas hésité une seconde, j’ai rudement bien fait puisque dans la foulée Céline m’a proposé de le lire dans le cadre d’une lecture commune.
Inspiré de quelques lettres réelles, ce court roman publié en 1938 par Kathrine Kressmann Taylor, une mère au foyer américaine, surprend car s’il y a eu par la suite une abondante littérature sur la seconde guerre mondiale, le génocide des juifs, les camps, la résistance, etc. Il y a eu peu de livres pour dénoncer le nazisme avant la guerre, enfin il me semble, et ce livre a du faire figure d’ovni dans le paysage littéraire de 1938.
Par sa forme diabolique superbement maîtrisée d’abord et son aspect visionnaire ensuite, l’auteure parvient à capter la situation politique et l’histoire en marche en seulement une dizaine de lettres. A travers les deux protagonistes que sont Martin Shulse, l’allemand, de retour au pays après 20 ans passés en Amérique et Max Esenstein, le juif californien, se noue un drame qui va aller crescendo dans l’horreur.
Les deux hommes amis depuis leur jeunesse, se considèrent même comme des frères, et tiennent ensemble une galerie d’art à San Franciso dans laquelle ils vendent des peintres contemporains comme Picasso à de riches juifs, ce qui leur procure de confortables revenus. Martin décide de retourner en Allemagne maintenant qu’il a fait fortune et s’installe à Munich. Il peut désormais mener grand train grâce aux ventes réalisées par Max et montrer à sa belle-famille qui ne croyait pas en lui, qu’elle a eu bien tord.
Le pays, étranglé par le traité de Versailles, a plongé dans la misère et ses habitants avec, ce qui explique la montée du nazisme, car lorsque les peuples sont au désespoir, ils choisissent rarement la voie de la démocratie, on le voit encore de nos jours hélas.
Max, depuis San Francisco s’inquiète de l’arrivée au pouvoir d’Hitler et des bruits qui courent au sujet des pogroms, du sentiment anti-juif qui grandit en Allemagne et des exactions commises envers les juifs. Il s’inquiète surtout pour sa petite soeur Griselle, comédienne, qui joue une pièce à Vienne et sur le point de venir jouer dans une ville proche de celle où vit Martin. Au fil des lettres, ses inquiétudes se font plus vives et il demande à Martin, autrefois amoureux de sa soeur, de prendre soin d’elle. Hélàs, son ami qu’il pensait libéral, refuse de l’aider. Il est désormais fonctionnaire de l’administration nazie et fréquente les huiles du National-Socialisme. Le lien se rompt alors entre les deux hommes.
Kathrine Kressmann Taylor grâce à ce drame qui va se nouer entre les deux hommes, rend compte de la montée du nazisme et de l’antisémitisme. L’Allemagne, comme hypnotisée par son leader, montré ici comme une figure charismatique, marche comme un seul homme derrière lui. En seulement quelques mois, Martin Shulse, devient un fervent adepte du nazisme et justifie les persécutions à l’encontre des juifs qu’il trouve nécessaires. Juifs, désignés comme les boucs émissaires de la misère allemande.
L’auteure perçoit avant la guerre ce qui va finalement arriver et les horreurs qui vont découler de cette idéologie et c’est ça qui est remarquable et vraiment brillant. Elle n’est pas non plus tombée dans le piège du gentil juif contre le méchant allemand car la fin montre que même les gentils peuvent se révéler machiavéliques.
Mon seul bémol concerne la conversion de Martin aux idées du National-Socialisme que je juge trop rapide, elle arrive en effet très vite et me semble moins réaliste que si elle était intervenue quelques lettres plus tard, mais je chipote ! Un livre très fort que je vous recommande si vous ne l’avez jamais lu. C’est en tout cas un roman que je compte mettre entre les mains de mes enfants lorsqu’ils seront plus grands.
Lu dans le cadre d’une lecture commune avec Céline et du challenge La plume au féminin
j’ai lu ce livre il y a quelques années déjà et je l’ai adoré!!!!!
Il est vraiment très fort et la fin, quelle fin !!!
Très bel article ! Comme toi j’ai un peu tiqué sur la rapidité avec laquelle Martin tombe dans le national-socialisme mais je pense que c’est dû à la brièveté de ce roman. Mon article est programmé pour demain matin 🙂
Je pense aussi mais je continue à penser qu’une dizaine ou une vingtaine de pages en sus n’auraient pas été de trop 🙂 Hâte de lire ton billet demain !
Un livre qui m’avait beaucoup plu! C’est vrai que Martin se convertit vite aux idées du national-socialisme. Mais le texte reste très fort.
Si tu as l’occasion de le voir adapté au théâtre…n’hésite pas!
Le texte est fort, ça je suis bien d’accord et le livre m’a beaucoup plu aussi !
C’est rare de trouver des écrits aussi visionnaires dis donc!… En tous les cas, cette lecture semble très forte.
Oui et je te la conseille si le sujet t’intéresse, en plus ça se lit très vite !
Il me tente beaucoup celui-ci et ta chronique me donne encore plus envie de le découvrir ! Tu es une tentatrice 🙂
Merci Sybille, je le prends comme un compliment 🙂 ! Tu ne devrais pas être déçue par ce livre
Lu il y a longtemps, et j’avais beaucoup aimé !
Je crois que ce livre fait l’unanimité et il le mérite !
[…] Lu en Lecture Commune avec Bianca. […]
Je constate que nos billets sont très proches dans leur avis ! Contente cependant de t’avoir aidée à découvrir ce petit chef d’œuvre !
Oui, c’est sans doute du au fait que nous avons ressenti les mêmes choses. Merci à toi de m’avoir fait découvrir ce livre que je n’aurais sans doute pas été chercher toute seule !
Ce texte m’avait subjuguée !! je suis d’ailleurs allée voir la pièce de théatre au théâtre Antoine : très très bien !
Tu es la deuxième à me parler de la pièce et de façon enthousiaste, le texte se prête à être dit sur les planches, ça ne fait pas de doute !
Je l’avais lu il y a quelques années. Un très bon roman!
Oui, un très bon roman à mettre dans toutes les mains ! Contente qu’il t’ai plu aussi 🙂
Je confirme, c’est encore un très bel article que nous a rédigé! Comme je disais à Céline, j’entends pas mal parler de ce roman en ce moment et je pense le lire prochainement quand j’aurais un peu de temps. La seconde guerre mondiale est une période qui m’intéresse. Merci donc pour ton avis qui ne fait que confirmer mon envie.
Bonne soirée!
Merci Fanny. N’hésite pas à le lire car il est très court et prenant et si tu t’intéresse à cette époque il ne peut que te plaire
Un livre coup de poing qu’une fois lu on ne peut pas oublier tout à fait.
Passe une bonne semaine.
Oui c’est très un livre très fort, que je ne suis pas prêt d’oublier. Bonne semaine à toi aussi Philippe !
[…] à cette adresse de Kressmann Taylor. J’ai découvert ce livre grâce à Bianca et Céline qui l’ont lu ensemble et en ont rédigé des articles plutôt élogieux. Pour ma […]
J’ai lu ce livre en 3ème pour le cours de Français et…quelle claque ! Ce roman m’avait vraiment fait réfléchir et j’y repense souvent d’ailleurs parce que je l’avais beaucoup aimé. Il donne une vision si juste du nazisme et de l’ostracisme qui sévissait en Allemagne à ce moment-là…je trouve que Katherine Kressmann Taylor nous livre une véritable leçon de tolérance, dans ce roman…c’est une véritable ode à l’amitié, à l’amour mais aussi, à la liberté et c’est important à mon avis.
Bien d’accord avec toi, c’est un roman à lire absolument et que je ferais lire aux garçons lorsqu’ils auront l’âge de le comprendre, on prend une claque c’est vrai, dommage qu’il soit si court !