Littérature anglaise

Du bout des doigts – Sarah Waters

1862. Lant Street, Londres. Le rendez-vous des voleurs et des receleurs. Sue Trinder, orpheline, est confiée dès le berceau aux bons soins d’une trafiquante de nourrissons. À la veille de ses dix-huit ans, un élégant, surnommé Gentleman, lui propose d’escroquer une héritière, Maud Lilly. Orpheline elle aussi, cette dernière est élevée dans un lugubre manoir par son oncle, collectionneur de livres d’un genre tout particulier. Sue, en entrant au service de la riche jeune fille, tombe avec ingénuité dans un piège. Enveloppée par une atmosphère saturée de mystère et de passions souterraines, elle devra déjouer les complots les plus délicieusement cruels, afin de devenir, avec le concours de la belle demoiselle de Briar, une légende parmi les cercles interlopes de la bibliophilie érotique.

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Par où commencer pour vous donner suffisamment envie de découvrir ce grand livre sans vous en dévoiler l’intrigue et les nombreux rebondissements qui la jalonnent ? Nous sommes à Londres en pleine époque victorienne et Sue est la petite protégée d’une nourrice qui l’élève comme sa propre fille alors que sa mère est morte depuis longtemps. Nous sommes dans le quartier de Lant Street, celui des voleurs et des receleurs. L’un d’entre eux justement, M. Ibbs, partage sa maison avec sa sœur, folle à lier, Sue et Mme Sucksby, la nourrice, ainsi que plusieurs bébés en attente d’adoption.

Un jour Gentleman, alias Richard Rivers, vient leur proposer une escroquerie à l’héritage. Il a réussi à s’introduire auprès d’une jeune héritière en devenant le bibliothécaire de son oncle, un homme méchant et radin, qui ne vit que pour ses livres et sa grande œuvre, une bibliographie de la littérature érotique. Sa nièce, Maud Lilly, lui sert de lectrice et de scribe depuis sa sortie de l’asile. La jeune femme a passé ses jeunes années dans l’asile où sa mère était censée être soignée. Gentleman propose à Sue de devenir la dame de compagnie de la jeune femme, la précédente étant retournée en Irlande pour se faire soigner. Si elle accepte, trois mille livres sont à la clé. Sa mission : aider Gentleman à se faire épouser par l’héritière et la faire aussitôt internée dans un asile afin de mettre la main sur l’héritage. Sue hésite beaucoup mais finit par accepter.

Tout se passe sans accro, tout du moins le croit-elle, jusqu’au moment de l’arrivée à l’asile. De l’asile et de la littérature il va beaucoup en être question, le premier et la seconde étant fortement liés. C’est en effet parce qu’elle s’est beaucoup adonnée à la lecture, que les médecins vont conclure à la folie de Maud sur simple témoignage de son époux et de Sue. C’est en effet l’un des grands poncifs masculins depuis le 17è siècle : la lecture de romans est nuisible pour les femmes : Trop encourager chez les jeunes filles la pratique de la littérature, voire proposer aux femmes des études universitaires […] Nous élevons une nation de femmes cérébrales. Hélas ! Le malheur de votre épouse relève d’un malaise plus vaste. Je crains pour l’avenir de notre race.

Et c’est là qu’on goûte sa joie d’être une lectrice et une femme du 21è siècle, car on ne peut que bondir en lisant de telles sornettes. Sous ce simple prétexte, et par le bon vouloir de son époux, une jeune femme de 17 ans se retrouve piégée et enfermée dans un asile, sans possibilité pour elle d’en sortir !

Sarah Waters nous parle ici de la condition des jeunes filles, qui passent de la tutelle d’un père ou d’un oncle à celle d’un mari, pas forcément plus bienveillant, surtout lorsqu’il y a beaucoup d’argent en jeu et pas de famille pour s’inquiéter d’elles. Une époque où les femmes sont engoncées dans leur corset mais aussi dans les convenances victoriennes, une époque très prude, surtout à partir de la mort du prince Albert. La lecture est ici montrée comme aussi nocive que le sexe pour un cerveau féminin, d’autant plus qu’ici il est question aussi d’amour saphique ! N’oublions pas que l’homosexualité était un crime et qu’Oscar Wilde va goûter les geôles britanniques quelques années plus tard pour cette raison.

Le livre se découpe en 3 parties. Dans la première et la troisième, c’est Sue la narratrice ; Maud est celle de la seconde partie. L’avantage d’une telle narration c’est que l’on est au plus près des personnages, de leurs pensées, envies et angoisses et qu’on a finalement l’impression de découvrir l’intrigue en même temps qu’eux. Les deux premières parties sont bien équilibrées et vraiment passionnantes, la troisième, qui est aussi la plus courte, est moins convaincante, plus précipitée, ce qui ne m’a pas gêné dans ma lecture, tant j’étais prise par l’intrigue et déjà tellement attachée à Sue et à Maud, que je n’avais qu’une envie : rester avec elles encore un peu et découvrir le fin mot de l’histoire, car on ne sait plus où est la vérité et où le mensonge, tant l’histoire est bien ficelée.

J’ai vraiment adoré cette épopée romanesque où les femmes sont les héroïnes, je vous recommande donc chaudement Du bout des doigts !

Lu dans le cadre des challenges La plume au féminin, God save the livre , Challenge ABC Babelio 2012-2013 et Challenge Victorien

               

Lu dans le cadre d’une LCA avec Céline, Tiphanie et George

30 commentaires sur “Du bout des doigts – Sarah Waters

  1. Ton enthousiasme est communicatif et donne vraiment envie de se plonger dans ce roman. De plus, un léger parfum de mystère, sur la fin de ton billet, intrigue et accentue l’envie de découvrir cette histoire de femmes…

  2. La couverture m’avait déjà attiré l’oeil, mais là, je crois que je vais craquer, merci pour l’idée!

      1. Caresser le velours m’a moins plu.
        En revanche, Affinités est un grand roman. Et le dénouement final m’a bluffée!
        Et je te conseille aussi Ronde de nuit. La construction en est très habile. On part de la fin pour arriver au début.

      2. Tu as une bonne connaissance de son oeuvre Claire 🙂 Merci pour ton éclairage, je poursuivrais donc avec Affinités et finirais par Caresser le velours

  3. Je note. Mais rassure-moi… il y a bien une fin ? Je n’aime pas trop les livres qui ne dévoilent pas leurs mystères. Pourtant, j’ai une belle imagination…

  4. Difficile en effet de parler du roman sans dévoiler quelque peu l’histoire… Mais c’est justement la surprise qui est la force de la narration (entre autres). C’est un roman sur les femmes et racontées par des femmes, pour autant elles ne sont pas idéalisées et leur portait n’est pas toujours flatteur. Une très belle lecture en tout cas!

    1. Il y a de vraies surprises, du rythme et une histoire vraiment intéressante, c’est un livre à lire absolument, un grand roman ! Je vais aller lire ton billet et ajouter ton lien dans mon article. Merci de ta visite Tiphanie 🙂

  5. Ah oui, en effet, c’est un gros coup de cœur pour toi ! Mais ne t’inquiète pas, j’y ai trouvé quelques longueurs mais j’ai beaucoup apprécié !

    1. C’est vrai, dur de ne pas dévoiler l’intrigue, mais quelle claque que ce roman, j’ai vraiment adoré, contente que ce soit un coup de coeur pour toi aussi 🙂

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