«J’ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d’hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s’est échappée à nouveau. C’est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d’occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l’Histoire, le temps – tout ce qui vous souille et vous détruit – n’auront pas pu lui voler.»
Patrick Modiano, ayant retrouvé un avis de recherche dans un numéro de Paris-Soir du 31 décembre 1941, décide d’enquêter sur la jeune Dora Bruder, née le 25 février 1926 à l’hôpital Rothschild dans le 12e arrondissement de Paris et domiciliée au 41, boulevard Ornano, qui a disparu à l’âge de 15 ans à la suite de fugues répétées puis d’arrestations par la police française.
Cherchant à retracer le plus d’éléments possibles de la vie de cette jeune fille — à laquelle Modiano s’identifie de plus en plus intimement — l’auteur analyse toutes les données retrouvées (souvent sous forme d’extraits de documents officiels de la période 1941-1942), entrecoupées de passages de sa propre existence et de celle de son père, mises en relation avec celle de Dora.
Dora Bruder et son père, juif d’origine autrichienne, furent à quelques mois d’intervalle arrêtés, emprisonnés à la caserne des Tourelles du boulevard Mortier, puis internés au Camp de Drancy avant d’être déportés à Auschwitz le 18 septembre 1942, date du convoi qui les emporta vers les camps de la mort.
Parallèlement à cette tentative de reconstitution de la vie de la jeune fille, Patrick Modiano livre ses propres souvenirs de jeunesse, on chemine avec lui dans Paris sur les lieux de vie de la jeune fille et dans les différents services d’archives où il se rend.
Si Dora Bruder emprunte au genre romanesque, Patrick Modiano nous donne essentiellement à lire un récit d’enquête. L’auteur a peu d’éléments et dispose de quelques matériaux sur les circonstances et les épreuves de l’objet d’enquête qui est la fugue de Dora d’où les ellipses et les hypothèses nombreuses.
On devine que l’adolescente était de tempérament vif et indépendant mais pourquoi a-t-elle fugué à de nombreuses reprises et qu’a-t-elle pu faire pendant ces périodes où l’on a aucune trace d’elle !
Patrick Modiano replace Dora dans son contexte historique, celle de l’épuration, des lois anti-juives, des rafles et des camps de concentration. A travers ce fait divers tragique, une jeune fille fugueuse de 16 ans, dont la fugue est déclarée à la police par son père, on voit ici tout l’engrenage d’une France collaboratrice et indifférente à l’inhumanité des lois de Vichy.
Ce massacre organisé, tracé, tragique est brillamment dépeint par l’auteur à travers des rues et des lieux disparus, des archives tronquées, des quartiers recréés comme pour effacer des mémoires l’indicible horreur de cette guerre.
Je ne savais pas à quoi m’attendre avec ce titre, j’avoue qu’il m’a bouleversée par sa dureté et sa sobriété. En une centaine de pages, il a fait revivre Dora et avec elle, les victimes de l’Holocauste.
Certes les digressions de Patrick Modiano peuvent en rebuter certains, cela ne m’a en aucun cas gêné mais je préfère vous prévenir que ce récit est loin d’être linéaire.
Un texte sur l’importance de la mémoire que je vous recommande si le sujet vous intéresse ! Pour ma part, Dora me restera longtemps en tête…
Je n’ai jamais lu Modiano et pourtant je pense que j’aimerai…… 🙂
C’est mon premier Modiano mais certainement pas le dernier !
[…] avis interviendra d’ici quelques jours. Et j’ai enfin découvert Patrick Modiano avec Dora Bruder, l’histoire de cette jeune fille m’a bouleversée et je vous invite à lire mon avis […]
[…] découvert le prix Nobel de littérature Patrick Modiano avec son titre le plus emblématique : Dora Bruder qui retrace l’enquête qu’a mené l’auteur sur son héroïne victime de la shoah. Un récit […]